L’Italie, réputée pour ses poubelles napolitaines qui débordent ou les décharges sauvages de la Camorra, cache pourtant bien son jeu. Dans certaines communes de notre voisin transalpin, des modèles de tri exceptionnellement efficaces ont fait leurs preuves. Paris a d’ailleurs décidé de fortement s’inspirer du modèle milanais en testant à partir de mai la collecte de biodéchets en porte-à-porte.
Tout commence à Capannori, une commune toscane de 46 500 habitants. En 1997, un instituteur, Rossano Ercolini, se mobilise pour empêcher la construction d’un incinérateur à quelques kilomètres de son école. Il réussit le tour de force de convertir toute la commune à la seule alternative viable selon lui : le « Zero waste ». « On a réussi à mobiliser la population », se remémore Rossano Ercolini, lauréat du prix Goldman pour l’environnement en 2013 — équivalent du prix Nobel pour l’environnement — et désormais président de Zero Waste Europe. « On a pu empêcher la construction d’un incinérateur et en mettre un autre à la retraite. »
En 2007, la petite ville toscane devient la première commune européenne à adopter une stratégie « Zero Waste » en s’engageant à ne plus envoyer aucun déchet en décharge d’ici 2020. Capannori, pionnière en Italie et en Europe, est ainsi parvenue à réduire de 38% sa production de déchets en l’espace de dix ans. Elle trie aujourd’hui 81% de ses déchets.
Ce faisant, la commune a même réussi à réaliser des économies. Ces gains ont été réinvestis dans des infrastructures de réduction des déchets. Résultat : 86 emplois créés dans la filière et une facture de collecte en baisse pour les habitants.
Capannori n’est plus l’unique commune d’Italie à mener ce combat. À Parme et dans la province de Trévise, il existe d’autres exemples intéressants. En tout, 300 communes italiennes se sont lancées dans le « Zero Waste », dont Naples, capitale de la région de Campanie et troisième commune italienne pour sa population, après Rome et Milan.
CAPITALE DE LA MODE ET DU TRI
Cependant, s’il y en a une qui montre l’exemple à ses congénères d’Europe du Nord ou des États-Unis, c’est également celle réputée pour être la capitale mondiale de la mode : Milan. Avec son système de collecte sélective en porte-à-porte particulièrement abouti, qui inclut la collecte des biodéchets (NDLR, élément solide et biodégradable des ordures ménagères), la ville de 1,5 million d’habitants réussit à trier à la source plus de 50% des déchets. « C’est la plus grande ville au monde à pratiquer le ramassage des biodéchets en porte-à-porte sur 100% de son territoire », s’enthousiasme Enzo Favoino, directeur scientifique de Zero Waste Europe. « Cela démontre, notamment au niveau européen, que l’économie circulaire est possible même dans de grandes villes très densément peuplées. » Le système milanais de récolte de biodéchets en porte à porte va d’ailleurs être testé à partir de début mai à Paris.
Milan, 5h40. Le jour n’est pas encore levé. Dans le hangar d’un quartier résidentiel, les opérateurs sont déjà prêts à prendre le volant de leurs camions poubelles. Il faut dire qu’entre la concentration urbaine et le trafic automobile, la mairie se voit confrontée à des défis de taille en matière de collecte des déchets dans le centre-ville. Afin d’éviter de bloquer la circulation à Milan, elle a dû opter pour une solution drastique : dans l’hyper centre, les poubelles doivent être sorties entre 5h et 5h40 tous les matins. Place ensuite aux camions. Ils collectent chacun une catégorie de déchets (organiques, verre, résiduels, cartons…). Même ces véhicules, aux allures de modèles réduits, ont été pensés pour minimiser l’encombrement.
D’ici 8 heures du matin, le ramassage doit être terminé. Rien n’est laissé au hasard. Les déplacements de tous les camions poubelles sont contrôlés en direct dans une salle opérationnelle centralisée. On y surveille leur trajet, mais aussi leur taux de remplissage, sur tout le territoire de la commune.
Le succès est au rendez-vous. Depuis l’introduction du tri en 2012, étendu à toute la ville à partir de 2014, la part de tri des déchets a fait un bond de 20%. Milan est désormais l’une des grandes villes les plus en avance dans ce domaine, atteignant les 53% de tri en 2016. « L’exemple de Milan est important, car il démontre que même pour de grandes villes très peuplées construites de manière verticale, il est possible d’appliquer les bonnes pratiques et d’obtenir de très bons résultats », explique Rossano Ercolini.
CONTRÔLEURS DU TRI
La capitale de la mode a aussi embauché des inspecteurs chargés de contrôler si le tri a bien été effectué. Ils s’assurent par exemple que l’on ne jette pas de déchets organiques le jour du carton. Pourtant, si leur rôle se limite fréquemment à de la prévention, il leur arrive également de mettre des amendes. En moyenne, 4 500 par an.
Katia, 25 ans de boutique, passe à la loupe les poubelles des Milanais. Se réveiller à trois heures tous les matins ne l’empêche pas d’être tirée à quatre épingles ni d’arborer un brushing impeccable. « Des fois, les gens se trompent et mettent des sacs en plastique dans la poubelle du verre par exemple. Mais avec les sacs transparents, on peut vérifier que le tri est bien fait. »
Il arrive quand même que des amendes tombent. 50 euros pour cette copropriété qui s’est un peu emmêlé les pinceaux. « Quand on a commencé à mettre des amendes en 1999, c’était un désastre. Maintenant, les gens trient mieux. Il y a eu une longue période de sensibilisation aux bons gestes avant que l’on mette en place des sanctions. »
Selon la spécialiste américaine Samantha MacBride, professeur associée à la Marxe School of Public and International Affairs, « le plus intéressant dans le système mis en place par Milan, c’est qu’ils ont complètement intégré la collecte des biodéchets dans la vie quotidienne des habitants ». Elle explique ainsi qu’à « la différence des États unis, en Europe des politiques publiques fortes ont permis de soutenir ou rendre possible des initiatives locales. En Italie, la combinaison des régulations européennes et d’une loi nationale qui a généralisé les sacs plastiques compostables a créé d’excellentes conditions pour que des villes comme Milan mènent des programmes qui évitent d’incinérer ou d’enfouir de grandes quantités de déchets qui sont ensuite recyclés et réintroduits dans l’économie. »
Grâce au tri sélectif, 20% des déchets urbains de Milan, soit la part de biodéchets, sont ensuite réutilisés. Ils servent de fertilisant naturel ou sont transformés en biogaz dans une usine au nord de Milan. Un modèle d’économie circulaire pour une économie estimée à 21 000 tonnes de CO2.
Pourtant, il aura fallu se trouver face à l’urgence pour que Milan se convertisse enfin au tri. En plus de deux incinérateurs, la ville a longtemps fonctionné avec une décharge qui s’est vue fermée du jour au lendemain dans les années 1990. C’est à ce moment-là que la politique de tri a commencé à se mettre en place, avec un premier essai plutôt raté en matière de biodéchets.
Loin d’être irréalistes, ces politiques publiques ambitieuses peuvent parfois aller très vite. Quand elle a lancé son expérience en 2012, la ville de Milan a ainsi atteint son objectif de tri en six semaines. « Il est fondamental de protéger l’environnement, car à Milan on a des niveaux records de pollution aux particules fines », commente Marco Granelli, adjoint chargé de l’environnement à la mairie de Milan. « Il faut se mobiliser et changer tous les comportements qui génèrent de la pollution. »
Très fière de ce qu’elle a accompli, la municipalité s’est fixé un nouveau but : transformer les biodéchets en méthane. « Notre objectif c’est que dans quatre ans les camions poubelles roulent au méthane, là on serait vraiment dans l’économie circulaire. »
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